Elle a repoussé son sac à mains derrière son dos pour l'aider dans ses mouvements. Elle a noué sa longue chevelure avec un ruban de velours pour dégager son visage. Avec ses deux mains, elle s'est hissée sur l'épave grinçante. Elle a escaladé la dépouille d'un navire rouillé brisé cassé décédé. Le soleil est chaud sur la peau, il colore le ciel de rose et d'orange et, debout face à la grande bleue, elle ferme les yeux. Sur cette montagne de taule froissée par les vagues et dévorée par Monsieur le Temps, elle inspire, expire, inspire, expire. Pumpkin, elle a les cheveux frisés par la mer et le parfum de l'eau salée au creux de son cou. Elle monte ses mains très haut dans les airs, étire son grand corps qui craque lui aussi, puis elle replace son sac à main sur le côté de sa cuisse droite. Elle l'ouvre et en sort un livre. Celui qu'elle prêtera au pêcheur. Maurice, avec qui elle forme un club de lecture dont ils ne sont que les deux seuls membres (de toute façon, ils ne recrutent pas (c'est un club très privé)). Ses yeux verts scrutent la paisible mer et elle décide de s'asseoir en attendant l'arrivée de l'attrapeur de poissons. Parfois, elle se demande s'il attrape autre chose, comme de vieilles bottines, par exemple, ou bien des ballons de plage dégonflés, ou bien un collier perdu il y a de cela vingt ans. Machinalement, elle se met à jouer avec un de ses délicats bracelets trônant à son poignet gauche. Elle n'aurait pas envie d'en perdre un seul. Ce son des bijoux à histoires et elle les connait par coeur.

Sur ses genoux, un vieil exemplaire de L'Écume des jours de Boris Vian. Ce sera la prochaine lecture de Maurine. Elle a hâte de voir ce qu'il lui prêtera, comme livre. (Si ses yeux délaissaient l'horizon rosangé (une couleur qu'elle a inventé là, à cet instant précis), elle verrait la tête brune de Maurice lentement se rapprocher du vieux bateau. Mais elle n'observe que le mouvement lent et fluide des vagues et c'est suffisant pour l'émerveiller.)