Elle n’était rien, a peine un bout de néant au milieu du chaos. Une rose fanée qu'on achève en l’effleurant. Les pétales sont a terre et elle, elle admire pourtant le ciel, tard le soir, fille cadavre. Elle devait faire de grandes et belles choses. Faire dériver le bout de ses doigts sur les cordes de la harpe ou sur les notes du piano. Elle devait se tenir si droite l'enfant tordue. Bombe le torse, enfant chagrin, montre ta fine poitrine et gonfle tes poumons. Mais, il n'y a plus d'air a expirer, désormais.

Envolé sûrement, comme tout le reste. L’angélique bandit de grands chemins. Elle qui n'aime ni le doux son de la harpe, ni l’harmonieuse mélodie du piano. C'est écrit en grand sur l'écran, boite animée vide de sens qu'elle fixe hasardeusement en finissant par perdre son regard sur les murs blancs. Adieu le blanc crème et le blanc cassé, le blanc plus blanc que blanc. Elle imagine les hommes nettoyer ceux ci a coup de javelle, d'acides violents avec un air, avouons le, un peu con.Elle imagine les gens, après la débauche venir se déshabiller et jeter leurs vêtements couverts de sang, dans une grande baignoire qui transforme le rouge et le gris en cette couleur immonde. Sans goût et sans forme.

«J'ai en horreur, le blanc de ces murs, docteur.» Elle prononce alors, six mois plus tard. [...]

Six mois après le drame.
L'effroi, la tristesse et la rage. Six mois après l’incompréhension et pourtant pour elle, six mois après la disparition de ce poids. Ce poids si lourd. Parfois il lui arrive, dans ces instants de profond désarroi, de le sentir encore, une fraction de seconde.

Et ça l'étouffe, toute cette pression dans le bas ventre.
Bien plus que la culpabilité.

Non.

Non elle ne culpabilise pas. Ni pour pour s’être emparée de cette fragile boite, encore moins d'en avoir sorti l'allumette.
Elle ne regrette ni de l'avoir allumée, ni de l'avoir jetée aux pieds des Suskind.
C'était comme brûler un cafard qu'on poursuit depuis des heures.

Un véritable soulagement que d'éradiquer toute cette vermine.

«Puis-je sortir, docteur?» La belle fleur ne souhaite pas louper le printemps, et encore moins l'été. Sa renaissance sera en meme temps que celle du monde. Elle aussi, mince bourgeon deviendra la plus belle des roses. Il n'y aura plus personne pour la faire briller a coup de projecteur aveuglant, plus personne pour lui expliquer comment respirer, ce qu'il faut boire, manger, qui il faut aimer. Plus personne pour commander le moindre de ces pas. La liberté est a quelques mètres et elle s'en empare, un 15 avril.

Inspirer, expirer. Vider et remplir ses poumons en ouvrant grand les bras.
Elle vit enfin.Pour la première fois.

Non, non elle ne regrette toujours rien. Les hurlements enfantins de ces frères et de ces sœurs, les injures et les larmes parentales ne lui font aucun effet. Anesthésier.  Elle est faite de pierre, l'enfant de lumière. Gosse rocheux et métallique. Plus qu'un vague tic tac qui s'écrase sur l'écho de son cœur.

Pourquoi se faire des reproches, après tout ? Est-ce que mettre fin a une vie mauvaise et malsaine reste encore un crime? Est ce que son innocence aux yeux des autres, n'est pas une preuve que meme dieu lui autorise le pardon ? Qu'importe. Car demain, elle ira pleurer sur leurs tombes, demain elle tiendra son rôle a merveille.

Demain personne ne pourra penser un seul instant que la jeune sœur Suskind, la tristement célèbre survivante de l'incendie meurtrier, a quelque chose a voir dans cette affaire.

Personne n'ira soupçonner que c'était elle, la main du destin.
Personne n'ira s'imaginer que son simple et unique regret et qu'en y repensant.

«Ils sont morts trop vite, ces enfoirés.»