Pumpkin, Pumpkin, Pumpkin...
Dans une autre vie, Barbara aurait été une citrouille. Une énorme citrouille orangée. Une citrouille de la grosseur d'une lune. Une citrouille-lune. Mais elle n'est pas dans une autre vie et elle n'est que Barbara-Pumpkin et même que Pumpkin, parce qu'on oublie souvent son vrai prénom. Celui que papa et maman lui ont gentiment donné en l'honneur d'une grand-maman décédée trop tôt, comme les éphémères qui ne vivent qu'une journée, tout au plus. Maman est tombée enceinte tardivement, alors qu'elle n'y pensait plus, alors qu'elle se disait ça va, ce n'était pas pour moi, je placerai cet amour ailleurs.
Elle avait quarante-et-un ans. Papa en avait quarante-trois. Aujourd'hui,
ils ont les cheveux blancs et des rides partout sur le visage. Leur maison au bord de la mer, ils en ont fait cadeau au bébé miracle et ils sont en ville,
maintenant. Les gens font de drôles de remarques, d'ailleurs, à ce sujet. Normalement, c'est l'enfant qui part de la maison-milles-et-uns-souvenirs. Ça la rend triste, Pumpkin, de ne plus les avoir avec elle, de ne plus entendre le rire rayons de soleil de son papa, de ne plus observer en secret sa mère brosser ses longs cheveux gris devant le miroir. Au moins, elle a l'océan tout près, qui murmure des histoires et des légendes à son oreille lorsqu'elle n'arrive pas à dormir.
Pumpkin, c'est une adulte très seule.
Très, très seule.
Elle a l'âme des vieilles personnes qui ont tout vu, tout entendu, tout vécu.
Elle aime observer. Elle aime toucher. Elle aime goûter. Elle aime prendre son temps. Elle s'émerveille en sentant une brise fraîche épouser sa peau brûlante lorsqu'elle est trop longtemps au soleil. Elle s'émerveille en mordant dans une pêche mûre et son rire doux comme de la soie s'élève quand elle sent le jus lui couler sur le menton, comme les gamins. Elle s'émerveille lorsqu'elle sent ses pieds nus s'enfoncer dans le sable mouillé de la toute petite plage derrière chez elle.
Et Pumpkin, elle émerveille.
Pumpkin aide un peu tout le monde à sa façon. Elle aide les vieilles personnes à traverser la rue, à porter leurs sacs, à ouvrir une porte. Elle aide à retrouver la pelle et le sceau en plastique bleu et jaune qu'un petit garçon a perdu ce matin au parc. Elle coince quelques fleurs derrières les cheveux de gamines qui veulent devenir elles aussi des princesses (et elle leur répond qu'elle n'est pas une princesse, même si elle a de très longs cheveux comme celles dans les histoires, qu'elle est plutôt une citrouille, et ça fait rire les enfants).
Dans sa vieille voiture, l'émerveillée traîne son chevalet, ses pinceaux, sa peinture et ses toiles. Elle aime peindre des paysages et le visage de gens qui ne la regardent pas. Elle vend quelques toiles, juste assez pour vivre correctement, sans artifices, sans excès. De toute façon, on ne la connait pas pour ses toiles. On la connait pour ses citrouilles de toutes les tailles de toutes les couleurs de toutes les formes. Elle les vend lorsque les journées raccourcissent, lorsque les nuits deviennent lentement plus longues que les jours. Elle les trimbale en ville et elle les vend toujours toutes.
Les gens aiment Pumpkin et elle les aime bien aussi.
Mais, si elle n'était pas Pumpkin.
Si elle n'était «que Barbara».
L'aimerait-on autant ?