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 you lose control and it shakes your feet (eddy)

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Simo Butler
Simo Butler

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MessageSujet: you lose control and it shakes your feet (eddy)   you lose control and it shakes your feet (eddy) EmptyDim 6 Aoû - 11:39

Les serviettes sont étendues sur le sable et nous regardons le soleil se baigner dans la mer, ses rayons venant teinter la couleur de l’eau. Il faudrait transposer cet instant quelque chose comme quinze ans en arrière, nos genoux et nos mains pleines de sable, construisant non pas des châteaux, mais des citadelles imprenables.
La patience de construire pendant des heures, l’impatience jouissive de venir tout détruire avec nos petits pieds.
C’est ce qu’il y a de mieux à faire avec les châteaux de sable.
Nous voilà quinze ans plus tard.
L’innocence en moins.
Les paupières chargées, la tête pleine, les jambes lourdes. Eddy est là, à côté de moi. Pourtant je le sens si loin, et il me faudrait seulement jouer des coudes pour pouvoir le toucher. En partant il a arraché quelque chose, une de racine. Celle qui me faisait tenir correctement debout, celle qui était profondément implantée dans le sol, qui buvait l’eau à sa source, qui rendait le tronc fort et solide.
Je pousse mes pieds dans le sable, le fait couler entre mes orteils, recommence inlassablement, créant des tranchées profondes sous mes talons.
En même temps, je fume une cigarette.
Pour remplir le silence entre nous.
Le vide.
Mettre de la fumée pour faire croire qu’il y a quelque chose dans la fosse profonde qui sépare nos deux coudes.
- C’était mieux que Shoreham, l’ailleurs ? C’est quoi le truc le plus dingue que t’aies vu ?
Je voudrais prétendre que ses voyages m’intéressent pas.
Mais la curiosité, encore infantile, presque intacte, veut savoir.
Peut-être pour mieux le blâmer.
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Eddy Butler
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MessageSujet: Re: you lose control and it shakes your feet (eddy)   you lose control and it shakes your feet (eddy) EmptyDim 6 Aoû - 15:47

Des millions d'années lumières.
C'est ce qui sépare le petit du grand, et c'est ce qu'il faudrait parcourir pour qu'ils viennent à bout de cette immense plaque de métal qu'ils ont dans le coeur. Si on la fondait, on en ferait sûrement une balle de revolver qui exploserait leur deux organes en mille morceaux, et il faudrait autant de temps pour tout recoller et en faire quelque chose de pas trop dégoûtant et surtout, qui pourrait être remis en état de marche.
Parce que même avec le peu d'espoir qu'il a, Eddy voudrait tout redémarrer. Mettre de l'huile dans un vieux moteur rouillé, frapper du poing une vieille machine pour qu'elle se remette en marche. C'est vrai que si les sentiments étaient aussi réels que le bitume, il suffirait d'un marteau pour tout casser et de quelques mains pour réparer les fissures. Mais on ne remet pas de silicone dans les coeurs, on ne recoud pas les liens défaits.
Puis qu'est-ce qu'on se ferait chier si c'était si facile.
Ils sont étalés sur la plage. De leur position, ils pourraient se croire dans le désert. Ils en ont traversé des déserts tous les deux, des longs et des moins longs. Mais ils ont toujours été capables d'en venir à bout. Mais celui-là, celui qui s'étend sur des milliers de kilomètres, celui où les dunes ressemblent à des montagnes, ce désert ci est interminable.  
Il y a une drôle d'odeur de mélancolie qui flotte dans les airs. En même temps, on dirait que rien n'a changé. Ce sont les mêmes grains de sable depuis ces dizaines d'années, ce sont les mêmes pierres érodées, la même écume qui s'échoue sur le rivage. Et quand rien ne change, on échappe difficilement aux souvenirs qui se sont agrippés avec hargne à toutes ces petites choses immuables.
La fumée que recrache Simo recouvre Eddy pendant quelques secondes, avant de s'effacer dans le ciel. Eddy a mal au coeur. Il a mal de le voir grandir, de le voir vieillir trop vite et de voir sur son visage des choses qu'on ne voit que plus tard dans une vie.
- C’était mieux que Shoreham, l’ailleurs ? C’est quoi le truc le plus dingue que t’aies vu ?
Mais en fait Eddy, il a mal parce qu'il a loupé ces cinq derrières années. Cinq ans dans une vie, ça peut paraître ridicule. Mais cinq ans c'est long, cinq ans c'est cinquante virgule neuf mois, c'est deux cent soixante semaines, c'est mille huit cent vingt-cinq jours, quarante trois mille heures, des millions de minutes et des milliards de secondes. Et quand il regarde Simo, cinq ans c'est toute une vie. Toute sa vie.
Eddy se racle la gorge et son corps se serre si fort que ses doigts plongent instinctivement dans le sable tiède, peinant à s'agripper. C'est comme si on le rappelait constamment d'ouvrir les yeux. Qu'on lui gueulait Eddy, réveille toi, c'est pas ça la vie, la vie c'est ici, c'est à Shoreham et ça sert à rien de fuir de toute façon, parce qu'Eddy tu sais, les gens qui fuient ils sont toujours rattrapés.
- Oui c'était mieux.
Il grince des dents.
- J'en ai vu tellement des choses.
Eddy réfléchit. Il aurait voulu lui dire qu'on s'en fout, qu'il a vu trop de choses et qu'il aurait pas assez d'une vie pour tout raconter. Et que de toute façon Simo ça ne t'intéresse pas alors pourquoi tu fais semblant ?
Mais il ne faut pas perdre la face.
- Mais j'crois que les plus belles choses, ce sont les gens. Tout plein de gens différents qui ont l'air de sourire un peu plus, qui ont l'air de rire un peu plus et qui te tendent une main dès qu'ils peuvent. Ça Simo, c'était vraiment beau.
    
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MessageSujet: Re: you lose control and it shakes your feet (eddy)   you lose control and it shakes your feet (eddy) EmptyLun 7 Aoû - 9:39

Peut-être pour mieux le blâmer.
Le blâmer parce que je pourrais lui dire et dis-moi, Eddy, pendant ces cinq ans où t’étais pas là, est-ce que t’as pensé seulement à moi ? À moi et mon trou dans la poitrine, l’espèce de plaie béante qui suintait tous les jours et où je venais gratter la croûte du bout de l’index, machinalement. Parce que sentir la douleur, serrer les mâchoires, fermer si fort les yeux qu’on en voit des tâches de lumière sous les paupières, c’est se rappeler qu’on existe toujours, qu’il y a un peu de vie en nous. Parfois l’âme meurt mais le corps subsiste encore un peu, il est guerrier et véhément. Et alors, pendant ces cinq années, est-ce que t’as tellement été égoïste que t’as mis Simo dans une boite, que t’as rajouté du scotch tout autour du couvercle pour être sûr qu’il ne sorte jamais, qu’il n’émerge jamais à ta pensée comme une vermine contagieuse ?
Puis il a fallu revenir.
Prendre un cutter pour défaire l’adhésif. Et la peur tenace lorsqu’on tient le couvercle entre ses mains mais qu’on ne l’a toujours pas enlevé. Si j’ouvre ce couvercle, qu’est-ce que je vais trouver à l’intérieur de la boîte ? Un mort ? Comme un cercueil, finalement.
Une tombe jamais fleurie.
- Oui c’était mieux. J’en ai vu tellement des choses.
Cette réserve qui l’empêche de parler plus.
Peut-être parce qu’il se dira ah oui, toutes ces choses je les ai vues, vécues et même si je te les raconte, tu ne les comprendras pas, parce que t’étais pas là, et te raconter tout ça c’est te rappeler mon absence. Mais moi, moi je pourrais lui dire, tu sais ce que j’ai fait pendant cinq ans : je n’ai rien fait. J’ai vu des bateaux arriver et repartir en me disant que j’aimerais bien monter sur l’un d’eux et rencontrer une baleine vorace dans l’océan, quelque chose d’assez fort pour venir percer la coque et me laisser mourir dans les vagues. Ça c’aurait été quelque chose d’utile, de bien.
Papa et maman auraient dit : bon débarras.
Eddy aurait dit : je peux enfin repartir.
- Mais j'crois que les plus belles choses, ce sont les gens. Tout plein de gens différents qui ont l'air de sourire un peu plus, qui ont l'air de rire un peu plus et qui te tendent une main dès qu'ils peuvent. Ça Simo, c'était vraiment beau.
Je hoche la tête.
- T’es devenu comme ça, Eddy ? Est-ce que tu ris plus ? Tu souris plus ? Tu tends la main dès que tu peux ?
Ma cigarette achève de se consumer, je l’enfonce dans le sable mou et l’enterre avec un soupir.
J’étends mes jambes devant moi et m’allonge sur ma serviette. Je ferme les paupières, les mains sous ma nuque. L’attitude d’un homme bienheureux.
- Parce que quand t’es avec moi j’ai l’impression qu’on t’a arraché la langue et qu’on t’a amputé ton sourire.
Première pierre jetée.
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Eddy Butler
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MessageSujet: Re: you lose control and it shakes your feet (eddy)   you lose control and it shakes your feet (eddy) EmptyMar 8 Aoû - 17:04

Eddy aurait pu raconter tous les kilomètres, l'un après l'autre, parcourus aux côtés d'inconnus. Il aurait pu lui décrire chacun des paysages avec minutie, en dessinant sur le sable du bout de ses doigts et en disant regarde Simo comme c'est beau, je t'y emmènerai un jour, je te le promets.
Et puis de toute façon, promettre c'est quoi ? C'est balancer des mots, les rendre un peu plus jolis et les terminer par un mécanisme trompeur, une illusion, pour rassurer l'autre. On se transforme en magicien de pacotille, on agite grand et fort les bras d'un côté quand de l'autre, on frappe un grand coup dans les côtes avec son pied. Les promesses ne sont que des bonbons au goût de merde. On s'y jette dessus comme un chien sur son os, on s'y agrippe avec hargne jusqu'à s'en briser les canines avant de réaliser qu'on est encore une fois tombé sur le plus dégueulasse. 
Eddy ne sait même pas s'il voudrait que Simo vive la même chose. Il est trop égoïste pour lui offrir la même opportunité, et il ne voudrait pas qu'on lui vole le peu de singularité qu'il a. Car Eddy est différent parce qu'il est parti. Il s'en est auto-persuadé pour relativiser son retour, pour transformer une fatalité en une décision pleine et consciente. Ainsi, Eddy attache toute son âme à ce ballon-persuasion, toujours prêt à exploser en plein vol.
Simo est une aiguille.
Une aiguille aiguisée qui s'approche périlleusement du plastique tendu auquel Eddy se cramponne. Il pourrait tout faire péter. Détruire toutes les murailles de son coeur, anéantir tous les barrages et faire jaillir des flots dévastateurs, une grosse tempête qui casserait tout sur son passage, assez forte pour leur briser les os.
- T’es devenu comme ça, Eddy ? Est-ce que tu ris plus ? Tu souris plus ? Tu tends la main dès que tu peux ?
Première déflagration. Eddy tourne son visage vers la silhouette de Simo, bercée dans un halo pourpré et ne peut s'empêcher de rire nerveusement. D'ailleurs, tout son corps s'est rétracté. Il aurait voulu lui dire que oui, qu'il était devenu comme les gens qu'il admire tant, qu'il a laissé toutes les mauvaises graines de côté pour ne garder que celles qui pourraient faire de la plus belle des plantes, la plus belle des fleurs dont tout le monde se languirait de sa floraison pour la cueillir. Mais il se contente seulement de rire.
- Parce que quand t’es avec moi j’ai l’impression qu’on t’a arraché la langue et qu’on t’a amputé ton sourire.
Seconde déflagration. Il ressent comme un immense vide s'emparer de son corps. Il y a quelque chose qui se passe en lui. Comme si un monstre froid sanguinaire lui avait arraché le coeur à mains nues. Comme si ce monstre c'était Simo. Comme s'il s'était transformé en un médecin légiste, qu'il se retrouvait avec son scalpel et sa rancoeur, en train de tronçonner avec minutie chacun des organes d'Eddy, avant de les jeter de sang-froid à la poubelle. Faut dire que ce serait une sépulture à sa hauteur.
Il imite son frère et s'allonge à son tour sur sa serviette, de tout son long. Sa tête cogne contre le sable, ses mains se rejoignent au niveau de son abdomen, si bien qu'on pourrait déjà l'enfermer entre quatre planches, on y verrait que du feu.
- C'est déjà bien que tu le remarques, Simo.
Il tourne son corps vers lui, comme pour lui dire regarde, je suis là et tu vas devoir me supporter.
- Peut-être parce que t'en es le seul responsable ?
Revers.     
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Simo Butler
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MessageSujet: Re: you lose control and it shakes your feet (eddy)   you lose control and it shakes your feet (eddy) EmptyMar 8 Aoû - 20:58

Et putain ça me faisait du bien, ce déferlement. Prendre le couteau, créer la plaie, puis le remuer dedans et répandre le sang. Parce que cinq ans c’était long, cinq ans sans sa béquille c’est long. C’est autant de chance de se viander, de tomber du trottoir, avec les passants qui se moquent et qui ne m’aident pas. Crois-moi, des trottoirs, j’en ai mangés, en cinq ans. Quelques poteaux, aussi, les rétros des bagnoles, quand je rentrais ivre mort, que je savais plus où je vivais, que j’étais incapable de reconnaître le chemin de la maison et que je savais même plus mon nom. Je m’excusais en bafouillant excusez-moi, j’suis – j’suis fatigué. J’suis fatigué, c’était l’excuse à tout. Absolument tout. Là encore j’suis fatigué, vidé.
Je perçois du mouvement sur ma droite, je sais qu’Eddy s’allonge aussi.
Quand nous étions encore amis, nous le faisions. Étendus côte à côte, à cramer au soleil en écoutant le ressac sur la plage. On parlait pas forcément, on existait ensemble. Qui a besoin de mot lorsque deux personnes sont capables de respirer en silence sans se gêner ? On n’en a pas besoin. Tout simplement.
- C’est déjà bien que tu le remarques, Simo.
J’ouvre alors les yeux, aperçois qu’il est tourné vers moi. On se regarde.
On se regarde et je sais que dans les miens de yeux il y a beaucoup trop de choses. Trop de choses qui voudraient être recrachées, peut-être que je vais vomir, peut-être que je vais pleurer. Peut-être que je vais me déchirer devant lui, parce que comment lui faire comprendre. Comment lui faire comprendre que j’ai un pied sur la case « je t’en veux et je te déteste » et l’autre pied sur « je suis content que tu sois là, merci d’exister ».
- Peut-être parce que t’en es le seul responsable ?
Et parce que moi je n’ai rien d’autre sous la main.
Et parce qu’il est injuste,
j’attrape une poignée de sable et je la lance au visage avec toute ma rage et mon incompréhension. Je veux l’aveugler, l’espace d’un court instant, le faire chialer du sable et du sel. Lui aussi il a des choses mauvaises dans le regard. Je me relève alors d’un bond, remonté, la gorge serrée par des mains violentes et invisibles.
- T’es sérieux de me dire ça ?
Je frotte rageusement mes paumes contre mes cuisses.
- Qui est-ce qui est parti, d’entre nous deux ? Simo Butler ? Non. Non, c’est Eddy Butler, l’espèce de péquenot qui se tient devant moi et qui se frotte les yeux. T’as entendu parler de ce mec ? Moi je vais te dire ce que j’ai entendu à propos de ce type. Les mots qui reviennent le plus à son sujet ce sont : lâche et égoïste. Ça t’étonne ? Moi, non. Il paraît qu’il s’est cassé cinq ans. Cinq ans sans revenir. Il s’en passe des choses, en cinq ans. Maintenant c’est plus un fils, ce gars-là. C’est plus un frère.
Mes mains tremblent.
Les larmes viennent de me monter aux yeux et je crois que je vais pas pouvoir les retenir.
- Tu sais ce que c’est, maintenant ? Un putain d’étranger.
Mon menton tremble aussi.
Je me tourne vers l’océan, je veux plus le voir. Je veux plus voir sa gueule. Je marche d’un pas décidé, m’enfonçant dans le sable mou jusqu’à avoir de l’eau jusqu’aux mollets. J’avance encore un peu. J’ai froid, un peu. J’ai froid et la gêne physique me fait oublier la douleur qu’il y a là-haut.
Ma tête douloureuse.
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MessageSujet: Re: you lose control and it shakes your feet (eddy)   you lose control and it shakes your feet (eddy) EmptyJeu 10 Aoû - 16:44

Ça ressemble à un naufrage.
Un naufrage où Eddy serait à la barre. Un accident comme on en voit tous les jours aux informations. Ce genre de déconfiture qui fait pleurer dans les chaumières et pour laquelle des coeurs se serrent pendant une fraction de seconde. Puis plus rien, parce qu'au final, on se dit que ça aurait pu être un proche ou même pire, que ça aurait pu être nous. C'est toujours pire quand c'est nous, mais de toute façon, ça n'arrive qu'aux autres.
Un accident où Eddy en serait la cause. Il aurait percé avec sa cuirasse la coque précaire d'un vieux vaisseau déjà chétif, un énorme trou dans le bois rongé, par lequel l'eau se serait engouffrée et aurait tout emporté sur son passage, sans laisser de répit à quiconque ou quoi que ce soit. Tout le monde aurait sombré. Parce qu'Eddy aurait tout embarqué avec lui. Son père, sa mère, quelques copains, quelques copines, des passants malheureux dans la rue qui auraient eu la malchance de croiser son regard.
Mais surtout, il n'aurait pas oublié Simo. Il lui aurait même réservé la meilleure place du bateau, et lui aurait offert le meilleur des services à bord. Simo aurait même été la figure de proue du navire, attaché là, devant le bateau. Et Eddy, il aurait foncé tout droit dans un rocher parfaitement taillé pour l'occasion, à pleine vitesse, le vent en poupe. Il aurait bien sûr tout calculé, il aurait attendu qu'une rafale s'engouffre dans la toile, qu'une vague soulève l'embarcation si haut pour qu'elle retombe violemment contre un granit invincible. Et que tout explose avec Simo aux premières loges, observateur-participant de cette lente chute dans les abysses d'un océan gavé d'un tas de cochonneries, qu'il ne tardera pas à recracher sur le rivage le plus proche.
Son retour est un naufrage.
Simo en sera la première victime.
Eddy le seul coupable.
Il reçoit les gravats sur le visage. Le sable s'engouffre dans sa bouche et les grains craquent sous chacune de ses dents. Il ne s'attendait sûrement pas à cette réaction. Peut-être parce que Simo et lui n'en sont jamais arrivés là, ou rarement. Peut-être parce que pour Eddy, tout est acquis d'avance, que Simo sera là et ce jusqu'à sa mort. Alors il se dit qu'il peut bien se permettre de lui dire ça, après tout, ce n'est qu'un connard qui croit que tout la misère du monde lui est tombée sur le coin de la gueule comme une fiente de pigeon un jour d'automne. Et ces connards là, ils se croient tout permis parce qu'avec toute la merde sur leurs épaules, ils peuvent bien essayer de s'en débarrasser d'un coup de main sous prétexte qu'ils n'en peuvent plus, que c'est trop pour eux et qu'ils ont besoin de partager pour leur montrer à tous que ce qu'ils vivent, c'est pire que toutes les épidémies, c'est pire que la faim dans le monde, c'est pire que cette gosse qui se fera dépouiller au coin d'une rue, c'est pire que cette mère qui verra son fils mourir devant ses yeux, impuissante, c'est pire, c'est pire, c'est pire !
Et puis vous comprenez pas vous ! comme phrase d'accroche et d'excuse.
- T’es sérieux de me dire ça ?
Une éternité s'écoule. Il se passe une main sur le visage pour décoller les dernières particules qui se sont collées à cause de la sueur qui perle depuis son front.
- Qui est-ce qui est parti, d’entre nous deux ? Simo Butler ? Non. Non, c’est Eddy Butler, l’espèce de péquenot qui se tient devant moi et qui se frotte les yeux. T’as entendu parler de ce mec ? Moi je vais te dire ce que j’ai entendu à propos de ce type. Les mots qui reviennent le plus à son sujet ce sont : lâche et égoïste. Ça t’étonne ? Moi, non. Il paraît qu’il s’est cassé cinq ans. Cinq ans sans revenir. Il s’en passe des choses, en cinq ans. Maintenant c’est plus un fils, ce gars-là. C’est plus un frère.
Eddy aurait voulu lui dire mais Simo ! Tu comprends pas pourquoi je suis parti ! Tu comprendras jamais, comme tu comprends jamais rien ! Mets toi à ma place ! C'est toujours les mêmes excuses, comme une vieille chanson de pacotille dont les paroles sont si merdiques qu'elles collent aux doigts et s'imprègnent dans les entrailles.
- Tu sais ce que c’est, maintenant ? Un putain d’étranger.
Eddy se fige et se perd. Ses yeux s'enflamment puis se mouillent, on pourrait croire que le soleil l'a brûlé vif et que tout son intérieur s'embrase mais que rapidement, la pluie se présente pour calmer l'ardeur de son âme. Il le regarde s'éloigner, le pas lourd et les épaules tombantes. Quelque chose déraille dans son cerveau. Un gros caillot de sang qui vient arrêter de faire fonctionner tout le mécanisme. Une idée qui vient de se planter là, comme une flèche dans une chair fraîche. Et si Simo avait raison ? Et si c'était Eddy l'étranger depuis tout ce temps ? Et si c'était lui, et lui seul, qui avait changé depuis son retour ?
Eddy secoue sa tête. Il se lève en bondissant et se met à courir à toute allure jusqu'à foncer, tête baissée, sur le corps de son frère. Il le percute à la façon d'un bélier hargneux qui voudrait défendre son territoire. Simo chavire.
- Et pourquoi je dois rester là, à moisir dans ce trou à rat ?
Il crie si fort qu'on pourrait voir des flammes s'échapper de son gosier.
- Pour toi ? Parce que personne d'autre veut le faire ? Parce que j'suis le seul à penser à toi tout le temps ? Parce qu'on m'a dit un jour "occupe toi de Simo, Eddy" sans une seule explication ? On m'a jamais expliqué pourquoi j'avais ce putain de boulet autour de la cheville. Et regarde ! Je suis revenu ! Parce que t'es toujours là ! Parce que on m'a forcé à ce que tu deviennes la chose la plus importante pour moi !
Eddy regarde son frère, le corps à moitié enfouit sous l'eau. Il attrape de toutes ses forces l'avant bras de Simo et le tire vers lui, alourdit par le poids de l'eau qui a imprégné ses vêtements.





  
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MessageSujet: Re: you lose control and it shakes your feet (eddy)   you lose control and it shakes your feet (eddy) EmptySam 12 Aoû - 9:35

Le froid de la mer me mord les mollets. Qu’il me morde, qu’il plante ses crocs aiguisés dans ma peau pâle pour la faire saigner ! De toute façon, je crois que je ne demande que ça, je crois que je ne cherche que ça. De la douleur, des maux pour oublier les maux d’en haut, la douleur pour remplacer la colère, pour remplacer le dégoût, la tristesse. Pour effacer la rancune. Parce que voilà, je crois que c’est l’un de mes nombreux défauts : la rancune. Certains se réjouiraient de voir leur frère revenir, comme un frère qui revient de la guerre. Mais ce frère-là, il revient de rien. Il avait besoin de quoi, après tout ? De se ressourcer auprès de populations étrangères ? Parce que quo ? Parce qu’il étouffait, à Shoreham ? Pourtant l’air qu’on y respire est pur, c’est celui de la mer, après tout, du genre qui te décrasse les poumons et la tête et te fatigue d’une bonne fatigue. Mais non, ça ne suffisait pas. Et pire qu’un ça qui ne suffit pas …
C’est je, moi, Simo Butler, qui n’était pas suffisant.
Pas une bonne raison de rester.
Je touche mon buste juste au dessus du cœur, je crois que ça me fait mal là, à gauche.
Puis d’un coup d’un seul, mon corps est percuté et je me trouve jeté à la mer comme quelque chose dont on ne veut pas. Je m’écroule dans l’eau, le sel vient picorer la peau de mon visage et mes yeux. J’ai les mains dans l’eau et le sable et je lève ma figure en colère vers l’agresseur, Eddy Butler. Mes yeux l’incendient.
- Et pourquoi je dois rester là, à moisir dans ce trou à rat ?
Il gueule.
- Pour toi ? Parce que personne d'autre veut le faire ? Parce que j'suis le seul à penser à toi tout le temps ? Parce qu'on m'a dit un jour "occupe toi de Simo, Eddy" sans une seule explication ? On m'a jamais expliqué pourquoi j'avais ce putain de boulet autour de la cheville. Et regarde ! Je suis revenu ! Parce que t'es toujours là ! Parce que on m'a forcé à ce que tu deviennes la chose la plus importante pour moi !
Là, vraiment.
Je ne sais plus.
Je ne sais plus ce qu’il se passe dans ma tête, mais je crois que ça explose de partout, pas comme un feu d’artifice mais plutôt comme un attentat avec du sang et avec la mort aux premières loges. C’est un spectacle macabre à l’intérieur et je voudrais pas nettoyer le sol et le plafond qui sont désormais recouverts d’une membrane noircie et coagulée.
J’ai la marée dans le cœur et jusqu’aux yeux.
Je crois que je vais chialer.
Pourtant encore une fois c’est lui la main tendue, lui la main tendue alors que je ne demande rien. Je sens sa forte poigne contre mon avant-bras, il me relève et je me laisse soulever comme un corps dont a déserté la vie. Je suis un pantin inerte, hébété, fatigué. Je le regarde, ruisselant d’eau et de sel. J’ai l’impression qu’on est dans une arène où chacun tient un couteau. Chacun tient un couteau et s’ouvre l’abdomen pour déverser ses tripes d’abord, arracher son cœur ensuite et le tenir entre ses paumes. Regarde, diraient-ils, regarde c’est mon cœur. Je ne te l’offre pas, je te le montre. Il y a des choses dedans et comme tu ne peux pas les lires, je vais devenir traducteur et te les dire.
Je le regarde, ruisselant d’eau et de sel.
- Ce putain de boulet ? Ce putain de boulet, t’as dit ?
Je crois que ça n’a jamais pesé aussi lourd sur mes épaules. Comme si j’avais un géant assis sur chacune d’elles.
- Mais pars ! Pars, Eddy, casse-toi ! Toutes les portes sont ouvertes, y a même des bateaux à quai. Personne te force à rester. T’es un étranger dans ta propre ville. De toute façon, si tu pars, à qui tu vas manquer ?
La colère me fait cracher tout mon venin et je sais que je deviens odieux.
Je mens en plus.
S’il part, c’est bien à moi qu’il va manquer. S’il part, je vais me retrouver comme un con à me bouffer les doigts jusqu’aux os parce que la seule personne qui s’évertuait à me maintenir en vie, à m’enrouler de papier bulle et à me protéger m’aura pris au pied de la lettre. S’il part, il me restera quoi ? Des sacs de tristesse à trimballer d’un point A à un point B. Puis je me dirais : je sais comment guérir.
Je vais l’oublier.
Je me fracasserai la tête contre les rochers au pied de la falaise.
Pour le tuer à l’intérieur de moi.
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